Vincent Girard
ÉSAM Caen/Cherbourg
Exposition du 4 juillet au 31 août 2024
Les lumières étranges, les apparitions et l’atmosphère nocturne participent à associer la peinture de Vincent Girard au genre fantastique. Le terme « fantastique » est riche de sens, comprenant dans sa racine sémantique profonde tous les éléments qu’il matérialise visuellement : le fantôme, le fantasme, la fantaisie mais aussi le phare et la fenêtre. Ce sont ces éléments mêmes qui s’imposent comme les protagonistes des poèmes visuels de Vincent Girard. Dans cette peinture, tout est spectral : il faut que les contours se diluent, que les formes se désintègrent, que la logique se dissolve à l’extrême limite du mirage. Cette peinture, qui vibre d’une énergie mystérieuse, trouve son inspiration dans l’ésotérisme, l’occultisme, la Fantasy épique, l’histoire de l’art et le folklore. Elle cherche à capturer des présences invisibles ou des phénomènes inexplicables qui échappent à notre perception habituelle. Comme le père d’Hamlet, elle nous hante et nous observe, sans pour autant se laisser regarder dans les yeux.
La matière doit être fluide, liquide, mouvante mais en même temps elle doit se centraliser dans des signaux et des symboles forts : pluie, yeux, bague, pieds, dragon. Ces éléments dramaturgiques, associés à une esthétique du diaphane, contribuent à affranchir la frontière entre le vraisemblableet l’imagination. Ce faisant, l’espace pictural peut être envisagé comme un espace de porosité entrele monde réel et le monde fantasmé : dans l’attraction et dans l’hypnose exercées par les couleurs et les effets picturaux, il y a un véritable enjeu plastique et un dispositif narratif cohérent. Le pouvoir hallucinatoire opère une suspension de l’incrédulité devant la peinture : tels des papillons, nous sommes volontiers attirés par ce qui brille ou ce qui luit dans le noir. Au cœur de cette symphonie chromatique, le scintillement est donc roi. Il illumine les coins les plus sombres, réveillant les secrets enfouis et les désirs inavoués. Il nimbe chaque scène de sa magie subtile, transmue les ténèbres en promesses de lumière. Par ces fulgurances, le terrible bute sur la perspective du merveilleux. Mais le scintillement se différencie de la clarté en ce qu’il est un éclat irrégulier et tremblotant. Il indique plus qu’il ne montre et il agit donc sur les sens et le cœur plus sûrement que sur l’esprit, faisant apparaître un monde constellé de points par lesquels émerge ce qui échappe à la représentation.
La peinture, délimitée dans l’espace, est figée : elle ne représente qu’un instant. Mais c’est précisément l’instant de la mutation, du basculement du récit qui est traité ici. C’est la raison pour laquelle la peinture de Vincent Girard peut trouver un écho dans l’idée de « liminalité », un concept clé en sociologie contemporaine. La liminalité désigne un état ou un espace de transition entre deux états ou deux dimensions. C’est une zone d’incertitude où les limites et les frontières deviennent floues, permettant ainsi l’expérience de la transformation. Dans la structure archétypale du conte, la rivière, la grotte ou la forêt sont des espaces liminaux d’où le personnage sort différent de ce qu’il était en entrant. Penser ces lieux interstitiels revient à remettre constamment en question les catégories préétablies. De manière similaire, la peinture de Vincent Girard transcende les frontières conventionnelles en fusionnant différents genres artistiques. Ses compositions se situent dans un espace intermédiaire où les distinctions rigides s’estompent, offrant une vision plus fluide et complexe du monde. Il s’agit d’ouvrir notre perception, embrasser l’ambiguïté et remettre en cause les certitudes.
Elora Weill-Engerer, 2023
Illustration : ©Vincent Girard, "Nature morte au bras", 2021, huile sur toile, 80x70cm.